Soigner sa tête sans médicaments ou presque, c'est possible. Par Anne Jeanblanc Journal Le Point
Près de 20 % des Français âgés de 18 à 75 ans déclarent avoir pris des médicaments psychotropes au cours des douze derniers mois. Dans notre pays, trois millions de personnes sont touchées par la dépression, sous une forme plus ou moins sévère. À ces chiffres qui placent la France au premier rang en ce qui concerne la consommation de produits psychotropes en Europe, il faut ajouter les milliers d'individus qui souffrent de différentes formes de stress, parmi lesquelles le redoutable burn-out qui représente aujourd'hui une nouvelle cause d'atteinte sévère à l'intégrité psychologique et physique.
Comment s'en sortir ? Peut-on réellement se passer de médicaments ? Quelles sont les alternatives ? Autant de questions auxquelles répond le Dr Patrick Lemoine dans son dernier livre*. Psychiatre, docteur en neurosciences et spécialiste du sommeil, il présente de façon très parlante, à partir d'histoires de patients, les méthodes scientifiques validées actuellement. "Moins en vogue aujourd'hui, la psychanalyse et ses ramifications qui s'occupent du pourquoi on va mal ont laissé la place à d'autres méthodes plus ou moins oubliées sous leur règne", explique-t-il.
Revivre une situation traumatique pour mieux l'accepter
Il y a d'abord les techniques pragmatiques, qui consistent à s'occuper du comment et qui cherchent à changer le point de vue et le comportement du patient par des thérapies cognitives et comportementales. Les techniques dites cathartiques permettent de revivre sans crainte une situation traumatique afin de l'accepter ; elles font souvent appel à l'hypnose. Certaines écoles ont même réussi à allier plus de théories, comme l'EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing). Introduite dans notre pays par David Servan-Schreiber, elle vise à placer le sujet en état de conscience modifiée (transe) et à lui faire revivre pas à pas, d'une manière ultraprécise et réaliste, le ou les traumatismes à l'origine de ses troubles.
Des théories non validées scientifiquement peuvent également être proposées, comme l'EFT (Emotional Freedom Techniques), qui réunit l'acupuncture et les thérapies cognitives ainsi que comportementales. Elle vise à la fois une catharsis et une sorte de relaxation. On le voit, les propositions sont multiples et variées, et il semble difficile de trouver la meilleure pour combattre une déprime passagère, voire une dépression. C'est justement ce que le Dr Lemoine aide à faire en énumérant les principales alternatives en réponse à un problème précis et en les classant en termes d'efficacité et de validation.
Certes, dans des maladies aussi graves que la psychose, le délire ou encore les hallucinations, il est indispensable de prendre des traitements médicamenteux, et cela, pendant fort longtemps. Mais, dans beaucoup d'autres cas, il faudrait "déprescrire", note ce spécialiste, qui énonce les dangers : par exemple, le risque de mourir prématurément est doublé chez les consommateurs réguliers de somnifères et celui de développer une démence de type Alzheimer augmente chez les consommateurs de tranquillisants sur une longue durée.
« Lutter contre la douleur »
Ce n’est toujours pas une priorité dans les établissements. Certains commencent à s’y mettre car il y a beaucoup de recherches qui montrent l’intérêt et l’importance de l’utilisation de l’hypnoanalgésie. Nous sommes là pour encourager les techniques complémentaires et non médicamenteuses. On en connaît tous les bienfaits. Apicil, c’est du mécénat philanthropique, sans contrepartie. Ce qui nous importe, c’est l’intérêt général. »
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L’hypnose : fonctionnement de l’éveil
D’après Milton Erickson, le patient possède en lui les ressources pour s’adapter aux situations qu’il rencontre. L’hypnose est un mode de fonctionnement particulier de l’éveil, qui n’est en rien comparable au sommeil. C’est un état naturel que chacun peut expérimenter plusieurs fois dans la journée, par exemple, en se laissant absorber par un film, la lecture d’un livre ou tout simplement en laissant aller son imaginaire. Cet état de concentration accru va de pair avec une diminution de la réceptivité aux sollicitations extérieures. Concrètement, il s’agit d’inviter les patients à se projeter dans un imaginaire qui les apaise, les rassure.
Nathalie Aulnette
Dijon : faire oublier la douleur aux enfants
«Pauline, ma fille de 12 ans, a été hospitalisée le 14 août 2013 après un accident de la circulation, à Marcheseuil, en Côte-d’Or. » Lors de la conférence de presse organisée jeudi au CHU de Dijon pour présenter les effets bénéfiques de l’hypnoanalgésie sur les enfants, une mère de famille a témoigné. Le bassin écrasé et souffrant de multiples fractures, Pauline a été prise en charge dans différents services. « Pour la moindre intervention, une prise de sang ou autre, elle avait peur d’avoir mal, elle était très anxieuse », a rapporté sa maman. « Un jour, sa kinésithérapeute a commencé à échanger avec Pauline. Elle a discuté de ses vacances, de la mer. Pauline s’est détendue, elle est rentrée en confiance et, pendant ce temps, tous les actes se faisaient… »
Tout un service
Technique complémentaire de prise en charge de la douleur (voir notre encadré), l’hypnoanalgésie est aujourd’hui largement mise en œuvre au service pédiatrique du CHU de Dijon. « J’avais eu cette idée de formation il y a longtemps, quand j’étais en stage à Robert-Debré (le plus grand hôpital pédiatrique français) où toute l’équipe était formée à l’hypnose. J’avais trouvé cela extraordinaire, et j’avais sollicité Nathalie Aulnette », explique Claudine Gagneret-Chagué, médecin de la douleur et praticienne de l’hypnose.Aujourd’hui, son projet est devenu réalité. Seize professionnels de santé travaillant avec les enfants ont été formés une semaine aux techniques de l’hypnoanalgésie par l’Institut français d’hypnose (IFH). « Cela génère une vraie culture de l’hypnose et cela aura un effet beaucoup plus puissant ; une culture va se développer… », se satisfait le Dr Gagneret-Chagué. La moitié de cette formation (qui a coûté 14 500 €) a été prise en charge par la fondation Apicil ; l’autre par le CHU de Dijon.
« Les techniques d’hypnoanalgésie permettent de rentrer en contact, avec la voix, pour, d’une certaine manière, distraire l’attention du patient ; au-delà, le principe, c’est une pratique qui permet d’entrer en relation avec l’autre pour modifier sa perception, notamment de la notion de douleur. Il y a aussi tout le contexte rassurant qui s’établit. La peur du geste douloureux, c’est très important. C’est aussi comment diminuer cette peur et l’anxiété ; c’est considérable sur la sensation douloureuse, mais aussi sur le vécu du soin, sur la manière dont l’enfant va vivre sa maladie, et les contraintes de cette dernière. »
Et le Dr Gagneret-Chagué de poursuivre : « À mon avis, sur les effets à plus long terme, il y a un vrai lien entre la prise en charge des douleurs chez les petits et le risque de développer des douleurs chroniques adultes ».
Des infirmières ont également apporté leurs témoignages, établissant tous les bienfaits de cette technique : un plus pour les enfants, mais aussi pour les parents et les soignants, dans la mesure où les soins sont pratiqués dans de meilleures conditions, là où parfois d’autres sont obtenus, pour les mêmes résultats, par le recours à la “contention”, c’est-à-dire l’immobilisation forcée de l’enfant par plusieurs personnes. Ce que certains qualifient de « maltraitance »…
En bref, l’hypnoanalgésie constitue pour tous une belle avancée à l’hôpital d’enfants.
NB: L’hypnoanalgésie est l’utilisation de techniques d’hypnose appliquées à la lutte contre la douleur (analgésie).
Anne-Françoise Bailly