Ma patiente m’explique d’emblée que le corps médical a vraiment tout mis en oeuvre pour trouver un traitement adapté à son syndrome inflammatoire : Salazopyrine, méthotrexate puis traitement anti-TNF alpha intraveineux par Remicade (infliximab/Inflectra 400 mg) en perfusion à l’hôpital de jour, qu’elle continue de suivre toutes les huit semaines. Ce type de traitement, issu de la biothérapie, fait partie de ceux qui ont révolutionné la prise en charge et l’évolution des maladies inflammatoires chroniques graves et invalidantes. Céline prend aussi des antidouleurs en comprimés. Après échec du Topalgic, on lui a prescrit de l’Efferalgan codéiné à raison de 7 comprimés par jour et du Bi-Profenid 100 mg à la demande. Pour ses problèmes d’insomnie, elle prend tous les soirs de l’Imovane. Son syndrome dépressif est traité par Seroplex 20 mg à raison d’un comprimé chaque matin, et ses angoisses par Lexomil 6 mg à raison de 4 demi-comprimés par jour.
Globalement, et malgré ce traitement, sa douleur reste présente et évaluée à 7 sur une échelle de 10 (échelle EVA) et son sommeil est toujours perturbé. Les effets du burn-out persistent également à travers une profonde fatigue, du stress, de l’agressivité, un repli sur soi et un isolement social – ce qui n’arrange vraisemblablement pas sa situation, les recherches scientifiques montrant justement aujourd’hui que les personnes non reliées aux autres seraient davantage sujettes à l’anxiété, à la dépression, aux tendances suicidaires et à la violence que les autres, et qu’un manque de lien social aurait un impact au niveau cellulaire et pourrait être à l’origine de nombreux foyers inflammatoires. Au départ, Céline, qui avait entendu parler des bienfaits de l’hypnose pour la dépression, venait me consulter simplement dans le but d’« essayer de remonter un peu la pente », sans avoir la moindre idée de l’extraordinaire travail qu’elle allait pouvoir accomplir, via son esprit inconscient, non seulement dans son psychisme mais aussi dans son corps souffrant, grâce à l’hypnose et à l’autohypnose.
1. ANAMNÈSE
Au cours de l’anamnèse qui débute notre première séance, Céline me raconte qu’elle a été très heureuse jusqu’à l’âge de 5 ans, où elle a perdu sa maman – une maman qu’elle adorait et qui lui donnait beaucoup d’amour. Et là, du jour au lendemain, c’est toute sa vie de petite fille qui s’effondre : plus de bras accueillants, plus de câlins, plus de bisous, plus d’histoires dans le lit avant de s’endormir... Et puis, comble de malchance, son papa lui fait même l’affront de se remarier très vite avec une femme qu’elle s’est vue contrainte d’appeler « maman » alors que ce n’était qu’« une marâtre tyrannique, malveillante, jalouse et vicieuse », de laquelle son papa ne l’a jamais protégée...
Selon Didier Anzieu, auteur du livre Le Moi-peau, le nourrisson, pour survivre, ne peut s’appuyer que sur les sensations qu’il ressent à la surface de sa peau, et c’est toujours le corps de la mère et les interactions qu’elle a avec son bébé qui vont étayer et soutenir l’adulte en devenir. En fait, ce sont toutes ces expériences sensitives qui permettent à l’enfant de mettre en place les structures psychiques permettant au Moi de s’installer. On peut donc imaginer la qualité de l’attachement que la petite Céline a pu construire au cours des cinq premières années de sa vie auprès d’une maman aimante et affectueuse, mais aussi toute la frustration qu’elle a pu ressentir du jour au lendemain lorsqu’elle s’en est trouvée privée...
Dans son ouvrage Le corps se souvient, le Dr Arthur Janov, auteur du fameux Le cri primal, affirme : « La force d’un souvenir traumatisant demeure confinée dans l’organisme, tournant en rond dans les zones inférieures du cerveau et attaquant les points faibles du corps, où se manifestent alors les symptômes […]. Nous sommes parfois brusquement affligés de maux de toutes sortes, dont l’origine nous échappe complètement : douleurs du dos, insomnies, maladies chroniques du système immunitaire […], fatigue chronique, dépression […], angoisses… » (3). Avec tout ce qu’elle a eu à porter et à supporter, Céline, depuis des années, souffre des épaules, de la nuque, des cervicales, des lombaires et du bassin. Mais là où les émotions se réveillent, là où je vois des micro-muscles s’activer sur son visage et des larmes lui monter aux yeux, ce n’est pas lorsqu’elle me parle de sa belle-mère ni de ses atroces douleurs physiques, c’est lorsqu’elle me parle de cette maman qu’elle a perdue et de sa souffrance de ne pouvoir la retrouver... M’est avis que c’est cette souffrance morale initiale restée inapaisée qui a déclenché et entretenu sa pathologie inflammatoire et ses douleurs chroniques.
2. NOTRE PREMIÈRE SÉANCE…
A la suite de l’anamnèse, l’induction hypnotique a été très rapide car Céline a choisi de se retrouver en imagination active dans la salle de gymnastique où elle se rend avec joie toutes les semaines pour procéder à des étirements et pratiquer une forme de danse thérapeutique. Les inductions dans lesquelles tous les sens d’un patient sont activés (VAKOG) se révèlent, en effet, des plus performantes.
Ensuite, j’ai suggéré à Céline de se retrouver dans un endroit où elle aimait beaucoup aller quand elle était petite avec sa maman, et elle m’a décrit une jolie plage de sable au bord de la mer, s’étendant à perte de vue. Et là, je lui ai demandé de « marcher le long de cette plage... marcher pour approfondir encore votre état hypnotique… marcher pour remonter le temps… marcher pour aller à la rencontre de cette petite Céline de 5 ans, si malheureuse parce qu’elle a perdu sa maman… ». Au bout de quelques secondes, Céline adulte, dissociée, rencontre sur cette plage son « enfant-intérieur », une petite fille triste et terrifiée. Elle la prend dans ses bras et lui fait des câlins. Je lui demande de la consoler avec ses mots à elle – ce qui va déjà beaucoup l’apaiser, comme je peux le constater en observant son visage. Puis j’explique aux deux Céline – l’enfant et l’adulte – qu’une surprise exceptionnelle les attend sur cette plage : « Et maintenant, en portant votre regard loin sur cette plage, vous pouvez apercevoir… quelqu’un qui vous aime profondément… que vous aimez profondément… et que vous avez toujours voulu voir revenir… et qui est maintenant là, en train de s’avancer vers vous… » Ma patiente se met alors à pleurer doucement.
Mais il ne s’agit pas d’une abréaction violente : ses pleurs ne sont pas provoqués par la douleur ou le découragement comme cela s’est produit tant de fois dans sa vie. Ils surgissent à présent sous l’effet d’une émotion positive qui, grâce à l’état hypnotique, devient possible : l’enfant et l’adulte viennent de retrouver leur maman et se jettent dans ses bras... Ensuite, un double travail va s’accomplir : d’une part, la petite Céline va faire à sa maman autant de bisous qu’elle le souhaite, recevoir autant de câlins qu’elle le désire, et lui confier tout ce qu’elle aurait aimé lui dire avant leur séparation si prématurée. D’autre part, la Céline adulte va lui raconter tout ce qui s’est passé depuis son décès. Enfin, nous passons à la phase de réparation après que les deux Céline se sont réassociées pour ne plus faire qu’une seule personne : « Et à présent, quand je dirai le mot “maintenant”, la maman de Céline va pouvoir réparer… par des quantités de câlins, d’impositions de mains analgésiques et de bisous… toutes les blessures douloureuses causées au fil des années sur le corps de sa fille… et cela en seulement quelques minutes de temps réel à ma montre ! » Et après avoir répété cette phrase une seconde fois, je lance d’une voix plus forte : « Maintenant ! » Tous les détails sur cette technique dite de distorsion du temps figurent dans le deuxième volume des Collected Papers (intégrale des articles du Dr Erickson sur l’hypnose) consacré à l’altération par l’hypnose des processus sensoriels, perceptifs et psychophysiologiques. Cette technique ne constitue pas en elle-même une forme de thérapie mais elle peut être utilisée en hypnose comme « un processus indépendant de réorganisation des significations et des valeurs associées aux réalités objectives et subjectives vécues par le patient ». En effet, en une durée minimum de temps réel, quelques secondes ou quelques minutes suffisent généralement à un patient en état de transe pour vivre ou revivre dans sa tête – mais avec le sentiment de le faire réellement – des séquences qui ont pris, en réalité, beaucoup plus de temps : des heures, des jours, des semaines, des mois, voire, dans le cas présent, des années ! On parle alors de temps subjectif ou personnel du patient.
Car ce qui se passe au cours d’une transe hypnotique, définie comme « suffisamment profonde pour produire une amnésie – et une catalepsie si on la suggérait – mais suffisamment légère pour permettre au sujet de parler librement », ne suit plus du tout un schéma chronologique tributaire de notre espace-temps, mais un schéma personnel subjectif où des actions peuvent se dérouler « avec une rapidité incroyable par rapport au temps mondial » et où « l’activité mentale peut […] se produire à un rythme extrêmement rapide tout en paraissant au sujet se produire à la vitesse habituelle ».
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Février Mars Avril 2021
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