MONSIEUR H., DIRECTEUR D’USINE ET... DÉLÉGUÉ DU PERSONNEL
Quand je rencontre Monsieur H. pour la première fois, il est en arrêt de travail depuis trois mois, prend des antidépresseurs et anxiolytiques. Il dort peu, ne ressent plus de motivation pour ses activités sportives habituelles et ne participe plus à la vie de famille en s’isolant une grande partie de ses journées dans sa chambre. Lors de ce premier rendez-vous, j’observe un homme abattu, replié sur lui-même, aux abois. Il me parle de son travail, de la culpabilité qu’il ressent à « abandonner ses gars » et qu’il n’a jamais été en arrêt de travail de sa vie. Monsieur H., 49 ans, est directeur d’une usine qui fabrique des produits chimiques, il encadre une cinquantaine de salariés depuis deux ans. Il y a gravi tous les échelons depuis plus de vingt ans qu’il y est salarié, d’agent d’entretien à directeur de site. Il en connaît tous les métiers et tous les rouages. Il a été promu à la fonction de directeur sur les recommandations de son prédécesseur, au moment de son départ en retraite, « pour ses qualités humaines », selon ses propos.
L’arrêt de travail de Monsieur H. est consécutif à plusieurs crises d’angoisse, toutes vécues sur son lieu de travail. Son médecin l’a trouvé surmené et en l’entendant prononcer ce terme, Monsieur H. dit s’être effondré. Il ne se sent pas capable de retourner travailler, même si, paradoxalement, il ne dit souhaiter que cela. L’intérêt de ce cas clinique ne réside pas principalement dans la stratégie thérapeutique mise en oeuvre pour l’aider à reconstruire un équilibre professionnel satisfaisant, il se situe dans les doubles contraintes dans lesquelles Monsieur H. se trouvait pris.
Les patients mentionnent rarement spontanément les doubles injonctions auxquelles ils doivent faire face, elles se révèlent au cours des échanges et suscitent l’étonnement quand elles sont mises en lumière, le patient semblant alors réaliser le paradoxe dans lequel il se trouve pris. Il est toujours surprenant de découvrir la capacité d’accommodation dont savent faire preuve certains patients pour concilier (tout au moins essayer), dans leur sphère professionnelle, l’inconciliable : des missions qui s’annulent, des fonctions qui se télescopent, des relations qui se trahissent les unes les autres. De manière générale, afin de les mettre en exergue, une tâche thérapeutique adaptée est de demander au patient de créer un organigramme de son entreprise en y ajoutant les relations qu’il y observe entre l’ensemble des salariés, lui compris : les ententes trop cordiales ou trop tendues (voire violentes) pour être compatibles avec ce qui est attendu dans une entreprise. Le schéma ainsi créé sert de support d’échange lors du rendez- vous suivant.
L’organigramme que présente Monsieur H. est assez courant : des liens de proximité côtoient des tensions et des inimitiés. Il met également en avant que Monsieur H. est logiquement à l’interface de deux sous-systèmes : d’un côté, il régit le fonctionnement de l’usine en tant que directeur ; de l’autre il rend des comptes au comité de direction du groupe auquel cette dernière appartient. Cette double casquette est propre à toute fonction d’encadrant : diriger et rendre des comptes, participer à l’élaboration de la stratégie de la structure et la faire appliquer.
Dans le cas de Monsieur H., c’est une « double-double casquette », car à son statut de dirigeant s’ajoutent les fonctions de délégué du personnel. Il a pour mission de « présenter à l’employeur les réclamations individuelles ou collectives des salariés sur les salaires et sur l’application des dispositions légales, réglementaires, conventionnelles et collectives relatives au droit du travail, à la protection sociale, la santé et la sécurité des salariés ». Elu par ses collègues avant sa nomination de directeur, il assume toujours leur représentation auprès de la direction (!), tout en assurant les prérogatives qui lui incombent du fait de son positionnement hiérarchique (refus de certaines demandes personnelles, mesures disciplinaires, licenciement). Il est de ce fait protecteur des salariés qui lui ont accordé leur con - fiance, et exécuteur de la politique et de la stratégie décidées par les membres du comité de direction du groupe. Il reçoit les demandes des salariés en terme d’augmentation de salaire et d’amélioration de leur quotidien professionnel, tout en étant au fait des choix financiers à moyen et long termes faits par la direction et qui peuvent en être antinomiques……..
Pour lire la suite de l’article et commander la Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°62
JÉRÉMY CUNA
Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°62
- Edito : Transe relationnelle. Julien Betbèze, rédacteur en chef
- La lévitation : un catalyseur de changement. Daniel Quin. Lâcher prise consiste à sortir de son cadre habituel de références et, par la transe, plonger dans un univers sans savoir où il nous mène. Avec les exemples de Marie, 12 ans, en échec scolaire, Lise, 35 ans, qui souffre de compulsion alimentaire, de Nadine, 22 ans qui veut perdre du poids, d’Anne, 35 ans, qui boit de la bière de façon excessive.
- Conversation de désengagement : le changement par l’aversion. Alain Vallée. Exercices pratiques pour amener au désir de changement. Ce genre de conversation centrée sur la liberté ou la contrainte, les valeurs ou le jugement d’autrui et les sensations corporelles est d’une grande puissance et prend peu de temps. Avec les exemples du tabagisme, de la colère…
- De la métaphore à la chanson de geste. Histoire de réceptivité. Bruno Dubos. Dans le travail métaphorique tout est question de réceptivité. Le thérapeute utilise une métaphore pour « aller vers le sujet », celui-ci va-t-il la « recevoir » ? Avec l’exemple de Sylvie et sa suite traumatique d’un long parcours émaillé d’interventions chirurgicales conséquence d’une erreur médicale.
- Les outils de la thérapie narrative : trouver du sens à l’insensé. Françoise Villermaux. Quoi de plus anxiogène, pour le psychologue ou le pédopsychiatre, qu’un adolescent qui exprime des idées suicidaires ? Illustration avec Célia, 14 ans et Elio, 15 ans.
Dossier : Douleur, douceur
- Edito : Gérard Ostermann
- La peur des soignants face à la mort. Myriam Mercier. Confrontés à la mort de patients dans leur travail, les soignants sont-ils autorisés à laisser parler leurs peurs ? Ou doivent-ils laisser leurs émotions à la maison ?
- Burn-out et doubles liens professionnels. Jérémy Cuna. Les exemples de M. H, directeur et délégué du personnel et de M. L, directeur adjoint et mari d’une salariée.
- Les gestes autocentrés : phénomène non conscient de ré-association. Corinne Paillette. Croiser les mains et mouliner des pouces, pianoter avec ses doigts sur ses cuisses, se gratter la tête… autant de petits gestes à observer chez les patients.
Dossier : Thérapie familiale
- Edito : Julien Betbèze. Mony Elkaïm : un thérapeute familial hors du commun
- Résonance et hypnose. En hommage à Mony Elkaïm et François Roustang. Sylvie Le Pelletier Beaufond. En vignette clinique, Mme C, 40 ans, en dépression depuis des années.
- Affronter l’ado tout-puissant : TOS (Thérapies Orientées Solution) et approches stratégiques. L’incroyable prise de pouvoir d’un adolescent de 15 ans sur sa famille. Sophie Tournouër
- Thérapie familiale et hypnose. Dimitri Tessier. Rétablir les liens entre les personnes dans des contextes de blocages relationnels. Les exemples de la famille L, une femme élève seules ses enfants, et du couple C en désaccord sur l’éducation de leur fille.
Rubriques
- Quiproquo. Stéfano Colombo. « Famille ». Dessin de Mohand Chérif Si Ahmed alias Muhuc
- Les champs du possible. Adrian Chaboche. Heureusement le temps passé passe par le présent.
- Culture monde. Sylvie Le Pelletier Beaufond. Les forces de l’invisible. Thérapies au Bénin.
- Les Grands entretiens. Gérard Fitoussi. Jacques-Antoine Malarewicz
- Livres en bouche: Julien Betbèze, Sophie Cohen.