Commençons par examiner l’intérêt de la question : « qu’est-ce qui est mieux ? », ou ses variantes « quoi de mieux ? » ou « qu’est-ce que vous avez repéré d’intéressant et qui va dans le bon sens, même si ce n’est pas forcément agréable ? ». Depuis que j’ai décidé il y a vingt ans de lier hypnose et approche solutionniste, je commence le premier entretien par cette question : « Qu’est-ce qui est mieux depuis que vous avez pris rendez-vous ? » Et à partir du deuxième rendez-vous, je demande : « Qu’est-ce qui est mieux depuis la dernière fois ? »
Souvent cette question déstabilise, procure une confusion, par rapport aux questions traditionnelles centrées problème. Après une pause, je demande : « Le fait de prendre la décision de consulter est-il le premier mouvement de votre désir de mobiliser vos capacités, vos forces, d’initier des petits changements, de créer des différences ? Pouvez-vous m’indiquer ces différences ? » D’emblée cette question et son épaississement (au sens des thérapies narratives) mettent l’accent sur la direction prise par le patient (client). Celui-ci est bien le héros de la thérapie (Scott Miller). L’évolution viendra de lui. Le changement lui appartient. Le focus est centré sur ses ressources pour aller vers sa solution.
Cette approche se fonde sur des recherches effectuées sur les principaux facteurs de changement dans toutes les formes de thérapies existantes et qui révèlent que le facteur principal (40 % sur le camembert des facteurs) est lié à ce que les personnes font dans leur vie en dehors de la thérapie (Scott Miller et Barry Duncan, Le client héros de la thérapie, voir référence). Le désir de mieux-être, d’augmenter leur puissance d’exister, comme nous l’a montré Baruch Spinoza, s’exprime par de nombreuses initiatives tentées pour créer des différences et qui sont souvent abandonnées si elles ne sont pas adoubées (par le thérapeute ou d’autres) faute d’aboutir immédiatement à un résultat souhaité. L’épaississement s’appuie sur des questions comme : « comment se manifeste ce petit mieux dans votre corps ? qu’est-ce que cela a entraîné dans vos relations ? comment vos proches ou collègues se sont rendu compte du changement ? comment ont-ils réagi ?... ». Tout le matériel recueilli dans cette transe con - versationnelle sera évidemment utilisé dans la transe formelle, pour amplifier le mieux en s’appuyant sur les mots magiques, simples mots prononcés par la personne et qui activeront ses ressources. Utiliser, utiliser, utiliser... comme le proposait Milton Erickson.
DE LA SOLITUDE AU RETOUR DU SOURIRE
Prenons un exemple pour mieux saisir la qualité et la nature des échanges dans la relation thérapeutique...
Geneviève, 35 ans, m’est adressée car elle est très déprimée, agressive, insomniaque avec des troubles des conduites alimentaires ; elle ne se met plus à table avec les autres membres de la famille. Dès qu’elle est installée, je lui demande ce qu’elle a pu repérer de différent depuis qu’elle m’a téléphoné pour prendre rendez-vous. Je précise parfois ma question : qu’est-ce qu’il y a eu de mieux, pas forcément de plus agréable mais de mieux, allant dans un sens qui paraît favorable ?
J’ajoute avec une pointe d’humour un peu confusionnante :
- Thérapeute : « Comme votre ami a dû vous en parler j’ai quelques talents de magicien et le seul son de ma voix au téléphone entraîne des améliorations. Cette intervention me permet de lui préciser ensuite plus sérieusement :
- Th. : Ce qui m’intéresse est le fait qu’en faisant la démarche de prendre rendez-vous, vous vous êtes mise en route pour changer et que votre désir de mieuxêtre a commencé à se manifester et qu’il est important de savoir ce qui est en train et dans quelle direction, et qu’il est important pour moi d’être au courant de là où vous en êtes. Après quelques instants de silence, elle m’indique :
- Geneviève : C’est toujours pareil pour moi et ce serait plutôt pire car j’ai eu une explication avec mon ami. Je me suis mise en colère et ça s’est mal passé.
- Th. : Voilà une excellente réponse à ma question “qu’est-ce qui est mieux”. En quoi c’est différent et intéressant ce qui vient de se passer avec votre ami ?
- G. : J’ai moins noyé le poisson, j’ai arrêté de fuir et de regarder par terre, j’ai été moins lâche que d’habitude.
- Th. : Sur le mode affirmatif en non négatif, moins lâche, moins noyer le poisson, arrêter de fuir, ça veux dire plus de quoi et comment ?
- G. : J’ai enfin affronté les difficultés, j’étais plus en accord avec moi-même, plus authentique (déclare-t-elle, surprise de sa réponse).
- Th. : Qu’est-ce que le fait d’avoir été authentique a amené comme différence dans votre façon d’être et dans vos relations avec vous-même et les autres ?
- G. (elle répond sur le mode affirmatif) : J’ai pu regarder mon ami en face et le voir autrement que d’habitude, même s’il n’était pas content, je l’ai vu comme un être humain, pas seulement comme un grand égoïste, et puis je me suis sentie plus vivante, avec de la chaleur au visage et dans le ventre. Elle me relate par la suite qu’elle a pu également parler à ses enfants et remettre certaines choses au point concernant les études et les week-ends passés chez leur père. Je lui demande ensuite :
- Th. : En supposant que cet entretien soit utile, quelles différences, petits détails, cela amènera dans la semaine qui vient ?
Après réflexion, en riant, elle m’annonce, à ma grande surprise :
- G. : Je vais téléphoner au père de mes enfants pour qu’on parle de ce qui se passe avec eux et de comment on peut faire pour améliorer la garde alternée. » Elle se met à rire. Jusque-là Geneviève ne m’a toujours pas parlé de son ou ses problèmes même si dans ces formulations sous la forme négative elle indiquait ce qui ne lui plaisait pas dans ses habitudes d’avant (moins lâche, arrêter de fuir...). Tout en la félicitant de ce qu’elle a réussi à faire, je lui demande comment elle s’y est prise pour se mettre à dire ce qu’elle avait sur le coeur……
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Au sommaire:
. Edito – Julien BETBÈZE
. Claire ROSSIN – Autohypnose et TOS chez l’enfant anxieux
L’auteure explique comment Noé, 7 ans, souffrant de troubles du sommeil, a pu s’approprier rapidement les outils proposés au cours de la thérapie (7 séances sur 5 mois) et les réinvestir au quotidien pour atteindre une autonomie dans la résolution de ses difficultés.
. Séverine LEJEUNE – Ces histoires qui nous façonnent
L’auteure, pédopsychiatre, nous propose de partager les lettres écrites aux parents, enfants et adolescents, lettres inspirées par les thérapies narratives et qui ont servi de support pour ses appels téléphoniques aux familles pendant le confinement.
. Stéphane OTTIN PECCHIO – Etats de conscience de l’hypnose musicale à l’hypnose artistique. Cet article analyse les états de conscience hypnotiques du point de vue du musicien ou de l’auditeur dans différentes situations : concert classique ou concert-thérapie, séance individuelle ou autohypnose.
.Guy MISSOUM – Success story et entraînement mental. L’auteur explique comment aider le patient à combattre le manque de confiance en soi avec différents moyens qui passent tous par une indispensable connaissance de soi.
. Espace Douleur Douceur - Gérard OSTERMANN – Edito
. Mireille SÉJOURNÉ – Troubles digestifs, hypnose et acupuncture. Gynécologue à la pratique enrichie d’une formation en acupuncture et en Médecine Traditionnelle Chinoise (MTC), l’auteure nous propose une approche qui combine hypnose et MTC appliquée aux troubles digestifs. Clair et simple, le script détaillé dans l’article et appelé ''Harmonie du Papillon'' peut être refait par le patient chez lui, régulièrement.
. Anne SURRAULT – Une parenthèse enchantée avec Gustave. Récit d’une séance de thérapie narrative : carte de l’externalisation. La patiente est venue consulter initialement suite à un conflit conjugal…
. Rachel REY – Anxiété infantile au bloc opératoire. Travaillant depuis quinze ans comme infirmière anesthésiste au bloc opératoire de l’Hôpital d’enfants à Nancy, l’auteure a notamment constaté que murmurer des histoires à l’oreille des enfants à l’induction se révélait extrêmement efficace, car pour entendre sa voix l’enfant doit cesser de pleurer et de se préoccuper de l’agitation ambiante.
Dossier : S’éloigner de la dépression
. Frédéric BERBEN – Prévention de l’épuisement professionnel Les approches intégrées de méditation, d’hypnose, de mouvements psycho-corporels permettent une liberté dans l’endroit où le thérapeute-formateur va poser le levier pour générer un changement. La pluralité des outils autorise davantage de points d’appui adaptés aux différences individuelles des professionnels.
Nelly CADRA – Métaphores et deuil. Léa, 15 ans, vient consulter suite au décès brutal de son père. En ressort le récit de trois séances avec les métaphores utilisées par la pédiatre : le gouffre sans fond ; le tilleul et le chêne ; la souris, le lapin et les elfes.
Jean-Pierre BOYER – Quels petits mieux pour sortir de la dépression? Depuis vingt ans l’auteur lie hypnose et approche solutionniste. Il détaille ici la méthode avec pour exemple Geneviève, 35 ans, déprimée, agressive, insomniaque et sujette à des troubles des conduites alimentaires. La « Question Miracle » est bien entendu au centre de l’entretien.
Rubriques . Les champs du possible :
Adrian CHABOCHE – ‘« Docteur, j’ai enfin échoué !’ » .
Quiproquo, malentendu et incommunicabilité : Stefano COLOMBO et MUHUC – Epuisement professionnel… .
Les grands entretiens : Gérard FITOUSSI – Interview de Alain VALLÉE .
Culture Monde : Nicolas D’INCA – Les guérisseurs touaregs.
Crédit Photo: © Marc Gratas