L’hypnose est-elle un placebo ? Ce « RIEN QUI A UN EFFET ».


Revue Hypnose et Thérapies Brèves 68, Espace Douleur - Douceur.


Poser cette question dans la revue « Hypnose & Thérapies brèves » peut apparaître provocateur. Pourtant, beaucoup d’incohérences abondent concernant le lien potentiel entre la suggestibilité et la réponse au placebo...

Au décours de ces questions, certains s’empressent d’affirmer que l’effet placebo n’est autre que suggestion hypnotique et son corolaire, que l’hypnose ne relève que du placebo. Pour mettre un terme à ce réductionnisme, nous allons tenter, au
-delà d’une dialectique socratique, de donner tout son sens au placebo dans notre système de soins aujourd’hui, et dans cette intentionalité d’aider le lecteur à trouver une réponse à la question posée.

GENÈSE DU PLACEBO

A l’origine, le mot vient d’une erreur de traduction d’un verset de la Vulgate, traduction latine de la Bible, au début du psaume 116.9 très exactement : « De Placebo Domino in regione vivorum» (« Je marcherai devant le Seigneur »), traduit par « Je plairai au Seigneur chez les vivants ». Ce mot traduit par « je plairai » va successivement traverser l’histoire et mettre en accusation rien de moins que le magnétisme animal de Franz Anton Mesmer. En 1784, Lavoisier et Franklin, membres d’une commission médicale créée par Louis XVI, ont réalisé les premières expériences publiques de médecine contrôlées par placebo. Ils bandèrent les yeux de sujets à qui ils firent croire qu’ils avaient été magnétisés dans le baquet. Ces sujets témoins présentèrent la même symptomatologie que ceux qui avaient réellement été en contact avec le baquet ; l’imposture de cette technique qui ne relevait que de l’autosuggestion et n’ayant d’autre fin que « pour plaire à ces dames de la cour » fit interdire cette pratique par l’Académie de médecine.

Un an plus tard le mot « placebo » apparaît dans le Motherby’s New Medical Dictionary, comme une « méthode banale ou remède », et en 1811 le dictionnaire Hopper le définit comme « un remède utilisé davantage pour plaire au patient que pour lui être utile ».

Après que Jean-Nicolas Corvisart ait administré de la « mica panis » (« mie de pain ») à des patients au domicile, Armand Trousseau est le premier médecin hospitalier français à administrer des placebos en 1834. Pendant la Seconde Guerre mondiale, des placebos sont utilisés par carence de morphine avec succès dans la lutte contre la douleur. Reprenant plusieurs données, le chirurgien Henry K. Beecher établit un « gold standard » de 32 % de répondant au placebo, versus morphine, dans une étude qu’il publ ie dans JAMA en 1955. Si Gunver Sophia Kienle et Helmut Kiene en 1997 démontrent une surestimation de l’effet placebo de cette étude, de quelques pour cent, ils ajoutent une variabilité de l’effet placebo, selon que le trouble à traiter est psychosomatique ou non. De la fin du XXe siècle au début de ce siècle, des études en chirurgie, en les comparant à des actes chirurgicaux placebo (on ouvre et on ne fait rien !), ont permis de remettre en cause certaines indications chirurgicales, comme la ligature de l’artère mammaire interne en cas d’angine de poitrine, les arthroscopies avec méniscectomie partielle pour dégénérescence méniscale, des chirurgies digestives pour endométriose.

D’autres études ont mis en avant l’intérêt d’un traitement placebo qui améliore plus de 50 % des patients notamment dans la dysfonction érectile, dans l’infertilité d’un couple, ou dans la dépression. A cette époque, il est difficile de proposer une explication globale satisfaisante du placebo. Alors que ce mot fait partie des termes médicaux depuis 1785 en Angleterre, il ne sera mentionné dans la littérature française qu’en 1954. On le trouve pour la première fois dans les dictionnaires médicaux français en 1958, dans la 17e édition du Garnier Delamare. Le placebo, c’est un médicament sans principe actif, et donc dépourvu de toute action pharmacologique dans le cadre d’une pathologie donnée. Ce rien, comme le définit Jean Claude Ameisen, qui est utilisé comme tare dans certaines études ; et nous allons voir que nous comparons des médicaments à un rien qui a un effet... Un rien qui met la médecine hors d’elle, comme le disait François Roustang, à juste titre.

APPROCHE NEUROBIOLOGIQUE DU PLACEBO

Les soignants, toutes catégories professionnelles confondues, administrent des placebos, que ce soit en cas de douleurs, d’insomnies, d’anxiété, et souvent chez les patients dits difficiles. Certains utilisent le placebo pour discriminer une plainte et apporter une réponse à une douleur ressentie, comme fausse d’après le médecin. Le placebo est parfois un moyen pour le soignant de proposer une réponse face à l’impuissance qu’il peut ressentir vis-à-vis de certains patients. Dans les années 1980, une approche neurobiologique de l’effet placebo propose deux interprétations.

- La première se réfère au conditionnement classique ou répondant décrit par Pavlov, avec le placebo induisant une réponse conditionnelle. Pour exemple dans la bradykinésie de la maladie de Parkinson, on ne note aucune réponse au placebo s’il est administré pour la première fois ; par contre après un conditionnement pharmacologique par les agonistes dopaminergiques ver sus l ’apomorphine, le placebo réintroduit seul présente une efficacité thérapeutique.

- La deuxième interprétation de cette approche neurobiologique se réfère à un « effet contextuel », et concerne les attentes et la conviction du patient qui seraient à la base de l’effet thérapeutique escompté, par un probable effet suggestif. En 1964, Pierre Kissel et Dominique Barrucand proposent la définition suivante du placebo : c’est une mesure thérapeutique d’efficacité intrinsèque nulle ou faible, sans rapport logique avec la maladie, mais agissant si le sujet pense recevoir un traitement actif, par un mécanisme psychologique ou psycho-physiologique.

Il n’y a aucune recherche scientifique avant 1951, et l’embarras dans lequel sont plongés certains soignants face à cette substance inerte va se majorer par l’avènement des règles bioéthiques. L’utilisation des placebos va en effet être modifiée par la déclaration d’Helsinki - Tokyo de 1975, qui précise les principes appliqués à la recherche clinique. En France, la loi Huriet-Sérusclat du 20 décembre 1988 institue des comités consultatifs de protection des personnes se prêtant à la recherche biomédicale (CCPPRB).
Des règles éthiques rigoureuses vont redéfinir l’emploi du placebo pour la mise au point de nouveaux médicaments en recherche clinique. Il n’est plus question de le faire à l’insu du malade. Il n’y a donc plus de tromperie, plus d’illusion en proposant un placebo à un patient. De même, en thérapeutique il devient difficile, voire proscrit, de prescrire un placebo sans le lui dire. Mais la surprise est de taille, on se rend compte que même en disant au patient qu’il reçoit un placebo, on note une efficacité et un effet thérapeutique qui met à mal la théorie du conditionnement, qui même s’il améliore la réponse, n’est pas une condition discriminative. Par ailleurs, on découvre qu’il n’y a pas d’extinction si le placebo est poursuivi seul, contrairement au stimulus conditionnel dans l’étude de Pavlov, ce qui remettrait en cause la première interprétation neurobiologique.

L’IMPORTANCE DE LA RELATION SOIGNANT/ SOIGNÉ DANS L’EFFET PLACEBO

En 1980, Louis Lasagna et al. démontrent que la réponse au placebo dépend plus de facteurs contextuels que d’une prédisposition individuelle. Ils viennent ainsi renforcer la deuxième interprétation, mais en la complétant. Ce n’est plus le degré de suggestibilité qui conditionne une réponse, mais plutôt l’importance de l’effet placebo qui est conditionnée par une bonne relation entre le prescripteur et le patient. L’effet placebo est donc l’écart positif entre le résultat thérapeutique observé et l’effet thérapeutique prévisible. Il n’est pas toujours lié à un processus thérapeutique et peut résulter simplement de la relation soignant/soigné.

Les études se multiplient, notamment dans la douleur, où l’effet placebo provoque une libération d’endorphines équivalentes jusqu’à 6 mg de morphine. De plus cette action peut-être antagonisée par la naloxone (Petrovic et al., 2002). En neuroanatomie fonctionnelle, l’effet placebo va activer des zones communes à celles qui sont antagonisées dans la douleur. Le cortex cingulaire antérieur ainsi que le cortex préfrontal médial ou orbitofrontal sont impliqués en IRM fonctionnelle après administration de placebo, comme dans la modulation de la perception douloureuse par l’hypnose, selon les études de Pierre Rainville et al. en 1999. L’effet placebo est aussi capable de stimuler le circuit de la récompense avec le cortex cingulaire antérieur, le noyau accumbens et le cortex orbitofrontal.

PLACEBO, NOCEBO ET BAGUETTES MÉTALLIQUES DE PERKINS

En 2002 l’étude de Raul de la Fuente - Fernandez va montrer que le placebo …


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Dr Olivier De PALÉZIEUX

Consultant en hypnose médicale à Paris, et praticien hospitalier aux Urgences-SMUR Hôpital Saint-Joseph.
Membre de l’AFEHM (Paris) et de l’IRHyS (Suisse), où il enseigne l’hypnose.
Instructeur de MBCT (Mindfulness Based Cognitivo Therapy), et enseignant au diplôme universitaire de Méditation de pleine conscience à l’université Paul-Sabatier de Toulouse.
Ses publications : « Dossier Hypnose et méditation », « Hypnose & Thérapies brèves » n°56 ; « Construction contemporaine de la méditation et de l’hypnose au travers des neurosciences »,
« Hypnose & Thérapies brèves » n°57 ; Mémoire « Hypnose et méditation : une alliance thérapeutique ? »,
université de Paris-Saclay, 2019.

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- Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente dans son édito le contenu de ce n°68 :

Comment devenir un meilleur thérapeute ?

Cette question est au centre de notre pratique, elle implique la « présence » du thérapeute dans une approche centrée sur le corps relationnel, ainsi que la mise en place d’évaluations visant à améliorer la qualité du lien thérapeutique.


. François Cartault nous montre comment le travail sur le deuil implique de retrouver la relation perdue comme étape initiale avant de développer l’autonomie de la personne endeuillée. Dans la séance présentée, le questionnement narratif met en évidence l’importance de décrire les différences et les points communs entre les sujets pour enrichir et faire perdurer la relation.
. Solen Montanari nous décrit la situation d’Elisa, 14 ans, qui a perdu toute confiance, un « truc » l’empêchant de lâcher prise dans la relation de soin. Selon l’approche TLMR (Thérapie du lien et des mondes relationnels) qu’elle pratique, elle intègre sa propre résonance (image d’un iceberg et vécu de chair de poule) pour co-construire un imaginaire partagé où le thérapeute et Elisa regardent ensemble la scène et en ressentent les effets sous forme d’une expérience unique.
. Sylvie Le Pelletier-Beaufond nous fait part de son expérience des séances d’hypnose partagées avec François Roustang. Elle souligne l’importance de la ''présence'' pour François Roustang dans sa manière de constituer une relation thérapeutique. Elle rappelle le principe qui gouverne sa pensée, l’existence de deux registres distincts : une forme discontinue correspondant à la dimension de l’individualité, et une forme continue, un fond, constitué de l’ensemble du système relationnel correspondant à la dimension de la singularité.

Ces trois auteurs mettent en scène ce qui est au centre de l’utilisation de l’hypnose en thérapie : le développement d’un processus coopératif où la présence du thérapeute est renforcée par le fait que ce dernier ne pense pas à la place du sujet.

. Grégoire Vitry et ses collaborateurs nous montrent comment la participation de chaque thérapeute à un réseau d’évaluation de sa propre pratique (Réseau SYPRENE) favorise une amélioration de notre pratique. Dans ce travail de recherche portant sur les effets de l’évaluation de l’alliance thérapeutique et de l’état de bien-être, nous comprenons l’importance de tenir compte de la perception du sujet et de partager avec nos pairs.

- L’édito de Gérard Ostermann dans l’Espace Douleur Douceur souligne l’importance de la capacité du thérapeute à faire un « pas de côté » pour rendre l’hypnose vivante dans les soins.

- Chirurgie maxillo-faciale en mission humanitaire, un article de Christine ALLARY

- Olivier de Palezieux nous parle du placebo

- Corps et espace sécure: changer le monde du patient par Jean-François DESJARDINS

- Dans le dossier consacré aux addictions, une constante est l’absence de confiance dans la relation humaine. Les trois auteurs, Maxime Devars, Anne Surrault et Nathalie Denis, nous proposent différentes manières de se libérer des symptômes bloqueurs de la relation (hyperactivité dans l’anorexie, conduite automatique chez le fumeur). Ils s’appuyent sur leur créativité et un imaginaire donnant toute sa place à la stratégie pour que les sujets puissent se réapproprier leur responsabilité dans le soin.

Nous retrouvons la qualité des chroniques habituelles, l’humour de Stefano et Muhuc, les situations cliniques richement décrites par Sophie Cohen, Adrian Chaboche et Nicolas D’Inca : à lire et à se laisser imprégner.

Ce numéro rend également hommage au Professeur Peter B. Bloom, ancien président de l’ISH qui vient de nous quitter le 10 septembre 2022 à l’âge de 86 ans. Dans une interview donnée à Gérard Fitoussi, il souligne l’importance de la créativité dans notre pratique et son espoir que l’hypnose continue à favoriser les rencontres et à nous faire partager des histoires de vie.

Crédit photo © Michel Eisenlohr


Rédigé le Mercredi 23 Aout 2023 à 21:14 | Lu 692 fois modifié le Mercredi 23 Aout 2023

Laurent Gross est: Président du CHTIP Collège d'Hypnose et Thérapies Intégratives de Paris,… En savoir plus sur cet auteur