Hypnoscope Décembre 2018 - Actualités Thérapeutiques



Nous avons assisté à une opération du cerveau sous hypnose - Sciences et Avenir

Sciences et Avenir a pu assister à une opération à cerveau ouvert sous hypnose. Une expérience qui valide l’efficacité de cette anesthésie par les mots.
Matéo, 13 ans, le visage rond comme la lune, l’écoute. Il est question d’une "casquette" qu’il devra bientôt porter sur sa tête, d’un grand toboggan aquatique sur lequel il pourra glisser à volonté, d’une piscine, de la fraîcheur de l’air sur sa peau, du souffle du vent… Aucun produit anesthésique, juste la voix du médecin. Matéo ne réagit même pas à l’aiguille qui pénètre sous la peau, ni au liquide froid du sérum de réhydratation qui circule dans ses veines. Son regard bleu glisse sur le visage rassurant de Catherine Bernard.

La voix l’hypnotise lentement. Ses paupières se ferment, il s’endort. L’effet est saisissant. Dans un instant, on va lui ouvrir le crâne.Depuis l'âge de 6 ans, Matéo souffre de crises d'épilepsie qui lui gâchent la vie et handicapent sa main droite. "Ces crises ne me font pas avaler la langue !", tient-il à rectifier à l'attention de ses camarades de classe un brin moqueurs. Mais des convulsions très violentes surviennent n'importe quand et n'importe où (la nuit, à l'école, dans les rayons d'un supermarché…) durant une dizaine de minutes et le laissent groggy pendant des heures. Aucun médicament ne peut en venir à bout. En janvier 2018, une première opération, à l'aide d'électrodes intracérébrales, a permis de repérer précisément la région épileptogène, située dans l'hémisphère gauche de son cerveau, à proximité de la zone responsable de la motricité de la main droite, et une électrocoagulation d'un des foyers a été tentée. Mais très vite, les crises ont réapparu.

Aujourd’hui, c’est une intervention extraordinaire que réalise le professeur Nozar Aghakhani, neurochirurgien : une chirurgie éveillée à cerveau ouvert ! Alors qu’une partie de son crâne sera ôtée, le jeune patient, conscient et présent, guidera lui-même le médecin pour mieux délimiter la zone atteinte. "On a besoin de l’enfant pour qu’il bouge la main, qu’il réponde au chirurgien quand ce dernier stimulera certaines zones sensibles, explique Catherine Bernard. Le but est de retirer le foyer pathogène sans abîmer les zones motrices, sensorielles ou langagières dans lesquelles il est situé."

Juste un minimum de sédatif, pour le détendre, et une grande dose de confiance
Pour endormir l’enfant, le Dr Bernard utilise, en guise d’anesthésie, l’hypnose éricksonienne. Les avantages ? D’abord contrôler l’anxiété face à cette intervention longue et impressionnante, en créant une véritable alliance thérapeutique qui permet au patient d’être acteur de son soin. Ensuite, réduire considérablement l’utilisation des produits d’anesthésie et leurs effets secondaires. Mais aussi, lorsque c’est nécessaire, réveiller plus rapidement le malade et faire jouer ses performances cognitives, essentielles pour la réussite de la chirurgie. Visualisation, pensées positives, relaxation, hypnose, et même méditation, sont les principaux anxiolytiques utilisés par l’anesthésiste, dont les pratiques font déjà école.

Au chevet de Matéo, elle s’émerveille : le jeune garçon s’est endormi sans narcose classique. Juste le minimum de sédatif pour le détendre un peu, et une grande dose de confiance. Confiance que Catherine Bernard, accompagnée de la psychologue clinicienne Anne Elbaz, a su créer entre l’enfant et l’équipe au cours de cinq longues séances préparatoires : "Cette étape est primordiale, car lorsque le patient sortira de sa transe hypnotique, il se réveillera dans la réalité de sa propre chirurgie. Il faut donc traiter l’anxiété et les crises de panique en amont." Un magicien professionnel, Christophe Bellamy, qui développe une pratique de rééducation psychomotrice par la magie, a été intégré à l’équipe, afin de tranquilliser davantage encore Matéo.

11 h. "Tu ressens la chaleur du soleil sur ton front... ?" En même temps qu’elle lui parle, Catherine Bernard injecte avec une fine aiguille un produit d’anesthésie locale, qui boursoufle la peau au-dessus des arcades sourcilières du garçon. "Il fait chaud dehors. Tu as besoin de ta casquette pour sortir. Mets-la pour te protéger du soleil, tu seras bien…" L’enfant dort et, pourtant, il l’entend. "Matéo est sensible à certains mots, raconte Catherine Bernard. Je lui suggère des pensées positives durant sa transe hypnotique. Les patients sont souvent capables de faire appel à leur imaginaire ou à des souvenirs en situation stressante." Pendant ce temps, le neurochirurgien approche un arceau en métal qui immobilisera la tête pendant toute la durée de l’opération. L’enfant a enfilé sa fameuse "casquette" sans même se réveiller !

Après avoir ciblé la zone épileptogène par neuronavigation (sorte de GPS 3D du cerveau), le professeur Aghakhani procède à l’ouverture du crâne. Une étape délicate et bruyante qui peut faire sortir le patient de sa torpeur. Tandis que de l’autre côté du champ stérile la scie découpe l’os du crâne, Catherine Bernard susurre à l’enfant des paroles inaudibles. Mais Matéo est réveillé par les vibrations de l’outil. Aussitôt, Catherine lui caresse délicatement les yeux, lui dépose quelques gouttes d’eau sur les lèvres et, de sa voix apaisante, le replonge dans sa "sieste" : "Tu glisses sur un long toboggan d’eau et tu plonges dans une piscine… Il fait beau. Il y a des bruits de gens qui s’amusent, autour de toi. Tu es bien… Tu entends le bruit du vent quand tu glisses ?..." Après que le chirurgien a retiré un morceau de crâne de 10 centimètres de côté, découpé les méninges (membrane protectrice qui sépare le cortex cérébral de l’os), le cerveau apparaît, pulsant doucement comme un coeur qui bat.

De l’autre côté du champ opératoire, l’enfant décrit en direct l’effet des stimulations
12 h."Matéo… Réveille-toi… Sors de la piscine maintenant…" L’enfant dort toujours. Catherine insiste. Le neurochirurgien attend. Matéo ouvre un oeil, le referme. "Nous sommes tous là…", le rassure Anne Elbaz qui s’approche pour lui saisir la main. Il émerge enfin et nous regarde. Il est prêt. Avec la précision nécessaire, le professeur Aghakhani pose alors ses électrodes sur le cerveau. De l’autre côté du champ opératoire, l’enfant décrit en direct les stimulations : crampes au niveau du poignet, picotements dans l’index, fourmis à l’extrémité des doigts, etc. La scène est surréaliste. Parfois, son bras tout entier s’agite du mouvement involontaire qu’une impulsion électrique du chirurgien a généré. Là, c’est la partie droite de son visage qui grimace sans qu’il le veuille.

En cartographiant au millimètre près la zone concernée, Nozar Aghakhani circonscrit le foyer pathogène sans risquer d’abîmer les parties fonctionnelles avoisinantes. "Le cerveau n’est pas innervé. Il n’y a donc aucune douleur", explique Catherine Bernard.

Tout à coup, Matéo est pris de soubresauts : le début d’une crise d’épilepsie. Catherine prévient le neurochirurgien qui fait aussitôt couler de l’eau froide sur le cerveau, inhibant l’activité des neurones et stoppant net la crise. Les tests reprennent. Fermer la main, ouvrir la main, serrer une balle, lever le bras… La zone épileptique enfin délimitée, le professeur Aghakhani, les yeux rivés à un gigantesque microscope binoculaire, procède à l’extraction. Un travail d’orfèvre qui ne tolère pas la moindre erreur. Coincé dans sa têtière, Matéo se livre à des parties de bras de fer ou de jeux vidéo sur smartphone avec la psychologue.

14 h 30. L’opération est terminée. Le foyer épileptogène mesure 3 centimètres, la taille d’une noix. Reste à recoudre les méninges et l’os du crâne. Catherine Bernard approche son ordinateur de Matéo et lui passe une musique relaxante de bord de mer. Dans le bloc opératoire de Bicêtre, on entend à présent le bruit des vagues et le cri des mouettes. Et la voix d’une femme qui rendort un enfant.

Hypnose médicale : retour en force - Allo-Médecins

Bannie par la médecine pendant de nombreuses décennies, l’hypnose médicale fait un retour en force depuis quelques années. De plus en plus utilisée, en particulier dans le traitement de la douleur chronique et en chirurgie, elle séduit aussi bien les patients que les professionnels de santé pour son efficacité.

Atténuer les douleurs dans le cadre de pathologies chroniques
L’hypnose est une pratique qui consiste à placer le patient dans un état de relaxation profonde, un état dit « modifié de la conscience ». Plus précisément, il n’est pas endormi, mais se trouve entre veille et sommeil. En premier lieu, l’hypnopraticien capte son attention. Puis, survient la transe hypnotique. A la fin de la séance, il réveille son patient.
D’après la directrice de l’IFPPC ou Institut français des pratiques psychocorporelles, Isabelle Célestin-Lhopiteau, l’hypnose médicale fonctionne le mieux sur les douleurs générées par les pathologies chroniques. Pour exemple, l’hypno analgésie permet de soulager les migraines et les tremblements de la maladie de Parkinson. Cette technique est aussi adaptée pour traiter les tics chez les enfants.
Dans le cadre des traitements des douleurs, l’hypnose présente un intérêt particulier. Elle agit autant sur l’aspect émotionnel que sur l’intensité elle-même. En outre, les nombreuses études menées à ce jour ne révèlent aucun effet indésirable. Par contre, cette technique ne fonctionne pas sur tous les patients. Une relation de confiance, sans résistance, est indispensable pour que l’hypnose fonctionne.

Proposer une alternative à l’anesthésie générale au bloc opératoire
L’hypnose a aussi fait son entrée dans les blocs opératoires. Beaucoup de médecins anesthésistes apprennent la technique de l’hypno-sédation afin de proposer aux patients devant subir une intervention chirurgicale une alternative à l’anesthésie classique. Elle convient parfaitement lors de certaines opérations sur le cerveau durant lesquelles les patients doivent être éveillés pour aider le chirurgien à ne pas endommager les zones critiques.
L’hypno-sédation en chirurgie nécessite la construction au préalable d’un scénario d’évasion mentale avec le patient. Le jour J, le médecin anesthésiste le guide ainsi à travers son voyage intérieur. Cela permet de modifier et de réduire sa perception de l’environnement hospitalier, de la douleur et de l’anxiété générée par l’intervention. Le patient ne ressent plus d’inconfort psychologique.
Par ailleurs, l’hypnopraticien est capable de ramener à n’importe quel moment un patient sous hypnose. Quand le chirurgien a besoin de la coopération de ce dernier, il le réveille. Le patient répond aux tests avant de replonger totalement dans son voyage intérieur. Ce procédé l’aide à avoir un meilleur vécu de l’intervention et diminue l’utilisation d’antalgiques.

"Sous hypnose, le patient peut utiliser son imaginaire pour maîtriser sa douleur" - Sciences et Avenir

Entretien avec Marie-Elisabeth Faymonville, anesthésiste, chef de service en algologie et soins palliatifs au CHU de Liège, chercheuse au Centre d'études de l'hypnose et de la douleur.

Que se passe-t-il quand notre cerveau expérimente spontanément des états modifiés de conscience ?
Une femme est arrivée aux urgences du CHU de Liège car elle avait été attaquée par un lion dans un parc animalier. Grièvement blessée, elle m'a pourtant raconté qu'elle n'avait rien senti. Le choc émotionnel a été si violent qu'elle a glissé dans un état modifié de conscience, hors de son corps, ayant perdu toute sensibilité, observatrice de ce qu'il se passait ! C'est également ce que peuvent expérimenter les victimes d'enlèvement ou de viol. Ils demeurent figés, immobiles, spectateurs de ce qui leur arrive. Une autre femme m'a raconté avoir réussi à soulever la voiture qui écrasait son fils, trouvant une force extraordinaire. Un père qui avait heurté son fils avec une tondeuse à gazon l'a amené aux urgences, dans un état second, sans se rendre compte qu'il avait lui-même des orteils sectionnés. Tous ces exemples montrent que l'on a la capacité de se protéger lors de cas extrêmes. Une fonction cérébrale sélectionnée par l'évolution pour protéger l'être humain dès que son intégrité physique est menacée.

L’esprit et le corps sont donc bel et bien liés…
Depuis Descartes, on a voulu séparer l'esprit et le corps. Avec cette idée, notamment, que la douleur était purement physique. C'est une ineptie ! L'observation du cerveau par imagerie cérébrale révèle que lorsqu'on cause une douleur (légère !) à un volontaire, les régions des sensations, de l'émotion, du comportement et de la cognition (les pensées) s'activent de concert. Soit les quatre composantes de la douleur. Pour obtenir une modulation des sensations douloureuses, il faut donc travailler sur l'ensemble de ces composantes. La douleur aiguë est un signal d'alarme, que l'on soigne avec des analgésiques. Si elle perdure et devient chronique, des infiltrations, des médicaments voire une opération chirurgicale peuvent soulager, mais il est également indispensable de proposer une approche psychologique et sociale. L'imagerie cérébrale nous a montré que sous hypnose, la connectivité entre les régions de ces quatre composantes était modifiée. Plus précisément, est modulée l'activation d'une zone du cerveau appelée cortex cingulaire antérieur, dont on sait qu'elle est connectée avec la région de l'émotion, du comportement et des pensées. On observe la même réaction avec la méditation. Chez l'être humain, le cerveau a donc une action sur le corps et réciproquement.

Qu’apporte cette connexion dans les cas de douleurs chroniques ?
Se laisser glisser dans un état modifié de conscience permet au patient de constater qu’il peut utiliser son imaginaire pour maîtriser sa douleur. Aujourd’hui, par exemple, j’ai réalisé une séance d’hypnose avec une personne atteinte d’une maladie lupique à l’origine de fortes douleurs articulaires et musculaires, ainsi que d’un état de grande fatigue, comme lors d’une grippe sévère. Nous avons travaillé sur ses douleurs de manière métaphorique. D’abord, en attribuant différentes couleurs à la douleur selon son intensité, qu’elle a placées mentalement sur un schéma du corps. Puis, sous hypnose, elle a imaginé se promener dans la nature et déposer le dessin dans un ruisseau ; elle devait observer les couleurs se diluer. À l’issue de la séance, elle a constaté que son état s’était amélioré. Et découvert qu’elle possédait - en elle-même - des ressources. C’est à ces ressources que nous nous intéressons, en postulant qu’elles peuvent être utilisées pour aller mieux. Nous ne sommes pas dans une logique d’exclusivité, mais de complémentarité. L’idée étant de combiner, avec sagesse, différentes approches.

Pour traiter la douleur, les professionnels de la santé mettent pourtant le plus souvent les médicaments en avant…
Durant nos études de médecine, nous avons été formatés selon l’idée que la solution venait de l’extérieur. Les médicaments, la chirurgie, la technique ont été mises sur un piédestal, et nous avons délaissé cette capacité qu’ont la tête et le corps à collaborer entre eux. C’est dommage. Je pense que le personnel soignant ne cherche pas suffisamment à explorer et mettre en oeuvre les formidables ressources des patients.

Peut-être parce que l’on craint ces techniques, qui peuvent servir des objectifs moins… honnêtes.
Oui, c’est une évidence. En état modifié, le cerveau ne fonctionne pas comme d’habitude. Il perd son esprit critique, sa capacité de raisonnement, de jugement et d’analyse. Le patient est plus suggestible. Or, si les suggestions ne sont pas éthiques ou même contraires à son intérêt, il ne saura pas se défendre. La prudence s’impose. La méthode est efficace, c’est pourquoi il ne faut pas la mettre dans n’importe quelles mains !

Comment ne pas se tromper ?

Un des adages, c’est "faire avec l’hypnose (ou d’autres techniques) ce que l’on peut faire sans". Si je sais recevoir en consultation quelqu’un qui a un problème de douleur, je peux le faire avec ou sans hypnose. Il n’est pas question de s’autoproclamer hypnothérapeute, comme le font trop de "praticiens" ne disposant, hélas, d’aucune formation adaptée (psychologie, médecine). Je conseille au patient de s’informer. Et même avec une formation à l’hypnose, un architecte, un ingénieur ou une puéricultrice ne sauront pas prendre en charge un problème de douleur. Certes, il existe des formations qualifiantes. Cependant, les pratiques psychocorporelles ne sont pas suffisamment encadrées. Je souhaiterais une éthique plus stricte.

Globalement, quel message désirez-vous faire passer ?

Aux soignants, j’aimerais dire : sachez que votre façon de communiquer avec les patients est parfois aussi efficace que des médicaments. Les mots peuvent soigner. Je suis pour une médecine participative fondée sur une relation patient-soignant très puissante, qui parvienne à activer des facteurs de soin très longtemps sous-estimés. Il nous reste pourtant encore beaucoup à découvrir, à explorer. Notamment les processus de conscience chez les malades. Pourquoi un individu se laisse-t-il glisser dans une douleur chronique alors que la douleur ne devrait être qu’un signal d’alarme ? Dans le grand puzzle des processus de conscience, seules quelques pièces sont assemblées.

Rédigé le Jeudi 3 Janvier 2019 à 16:47 | Lu 541 fois modifié le Vendredi 15 Février 2019