L’hypnose médicale, nouvelle alliée contre la douleur - La Croix
Marie-Claudine, 68 ans, devant subir une ablation des deux seins à l’Institut Curie (à Paris), le chirurgien lui a proposé d’effectuer l’intervention sous hypnose. «Ce qui m’a décidé, dit-elle, c’est qu’on m’a dit qu’à tout moment on pouvait basculer vers une anesthésie générale. Je voulais aussi éviter les effets toxiques des produits anesthésiques.»
Elle se souvient comment on l’a installée sur la table d’opération, avec un champ opératoire qui la séparait du chirurgien. Le docteur Aurore Marcou, médecin anesthésiste, a posé sa tête près de son oreille et lui a proposé de l’« emmener en promenade ».
«Elle m’a demandé de choisir un lieu que j’aimais bien : j’ai choisi la montagne.» Un petit chemin qui grimpe, l’arrivée dans une clairière… «Elle m’a dit de respirer, de sentir les fleurs fraîches, l’air pur… Je suis partie tout de suite ! », sourit-elle.
«Comme l’intervention a duré plus d’une heure, au bout d’un moment j’en ai eu assez de la montagne. Je me suis donc mise à parler avec l’anesthésiste et le chirurgien. » De cette opération, Marie-Claudine garde un souvenir chaleureux. «J’ai aimé ce travail de collaboration entre les médecins et moi. Je n’étais plus un simple objet déposé sur la table d’opération. »
Dans ce centre de cancérologie réputé, l’«hypnosédation» est devenue depuis cinq ans une pratique de plus en plus souvent proposée pour les mammectomies, les curages axillaires, la chirurgie des glandes thyroïdes. «Elle convient particulièrement aux personnes qui ont besoin de récupérer rapidement, ou pour qui l’anesthésie comporte des risques importants, explique le docteur Aurore Marcou. On a pu ainsi enlever récemment une tumeur à une dame de 100 ans, qu’on n’aurait pas pu endormir. L’un des grands avantages de l’hypnose est qu’elle permet d’éviter les effets indésirables de l’anesthésie générale : troubles de la mémoire, fatigue, hypotension…»
Mise au point par l’équipe du professeur Faymonville à Liège en 1991, cette technique douce d’« hypnosédation » a séduit les blocs opératoires un peu partout dans le monde. Depuis quelques années, les hôpitaux français y forment de plus en plus leur personnel : chirurgiens, anesthésistes, infirmières, sages-femmes.
Elle est pratiquée, en complément d’une anesthésie locale, pour les actes chirurgicaux qui ne touchent pas les organes « profonds » : coloscopies, hystérographies, ablation d’une thyroïde ou d’une hernie linguale. Plusieurs maternités la proposent aussi pour éviter la péridurale.
Pierre-François Descoins, médecin anesthésiste à l’hôpital de Niort, où une dizaine d’autres spécialistes sont actuellement formés, est devenu un fervent défenseur de cette technique. «Malheureusement, on ne peut pas la proposer à tous les patients, regrette-t-il, car elle demande de la disponibilité et un environnement calme pour les intervenants. Mais elle change l’atmosphère d’un bloc, crée entre le patient et le médecin une alliance de confiance, bénéfique pour tout le monde.»
L’hypnose est de plus en plus utilisée aussi dans le traitement des douleurs chroniques, que l’arsenal de la médecine classique peine à vaincre : environ la moitié des centres spécialisés l’ont intégrée, en complément d’autres approches (acupuncture, sophrologie, psychothérapie…).
À ces techniques qui sollicitent l’imaginaire, les enfants sont particulièrement sensibles. Édith Gatbois, pédiatre, a commencé à s’y intéresser dès 2004, quand elle travaillait en hémato-cancérologie et constatait que «les médicaments ne suffisaient pas à soulager les enfants». Certains, terrorisés, arrivaient même à développer des phobies du soin.
Aujourd’hui, au centre anti-douleurs de l’hôpital Trousseau, elle fait appel à l’hypnose pour soigner des enfants atteints de céphalées, fibromyalgies, ou douleurs séquellaires du cancer. Après un examen neurologique classique, sa consultation (qui dure environ une heure et demie) débute par une conversation au cours de laquelle elle explique à l’enfant comment fonctionne la douleur. «J’emploie souvent l’image de la cocotte-minute et de sa soupape qui fait sortir la pression ; comme notre corps est plus sophistiqué qu’elle, on peut se créer de nombreuses soupapes : imaginer, rigoler ou faire une activité créative.»
Commence alors la séance d’hypnose proprement dite. La pédiatre propose à l’enfant de choisir entre un tapis volant ou une baguette magique pour ouvrir les frontières de son imaginaire. «L’enfant va s’en servir pour aller où il veut, dans un endroit agréable ; il va apporter des détails de saveurs, de musique, faire venir les gens qu’il aime. Comme il se sent bien dans cet imaginaire, son corps ressent ce bien-être, se pose et se repose, bercé par la respiration. L’objectif, précise la pédiatre, est que l’enfant arrive à reproduire ces exercices chez lui quand il sent qu’il a mal. Et que ce ne soit plus la douleur qui contrôle sa vie.»
«C’est fondateur pour des enfants de s’apercevoir qu’ils peuvent reprendre le contrôle de la situation», insiste Édith Gatbois. Même si elle ne prétend pas faire de miracles. «Certains arrivent à se débarrasser complètement de leurs douleurs ; pour d’autres, ça ne marche pas, car ils souffrent trop pour pouvoir lâcher prise.»
Mais la plupart arrivent à réduire leurs doses de médicaments, jusqu’à s’en passer. «C’est un outil écologique à usage multiple», résume-t-elle. Et les parents sont souvent contents qu’on leur propose des approches qui leur ouvrent d’autres horizons.
C’est aussi la conviction du docteur Franck Bernard, anesthésiste au CHP Saint-Grégoire à Rennes et responsable du pôle « douleurs aiguës » au sein d’Émergences. «L’être humain possède en lui de multiples ressources qu’il ne sait pas toujours mobiliser, plaide-t-il. Et plusieurs états de conscience, dont l’état hypnotique.» Il y voit un «outil de communication thérapeutique» qui fonctionne dans les deux sens. «Ils me confient un peu d’eux-mêmes, et je m’en sers pour les aider à aller mieux. La technique fonctionne, en effet, à condition que le patient soit motivé, confiant et coopérant.»
Elle permet ainsi d’instaurer un autre type de rapport entre le patient et son médecin. «La médecine toute technicienne a un peu perdu ses lettres de noblesse. Et si les médecins sont si nombreux à se former à l’hypnose aujourd’hui, c’est parce qu’ils ont besoin d’une médecine plus humaine, plus proche du patient. L’hypnose permet une relation plus riche et une satisfaction plus grande ; et nos patients très souvent nous en remercient.»
Cancer de la prostate traité par curiethérapie sous hypnose - Réseau CHU
Technique efficace pour soulager la douleur, l’hypnose représente aussi une alternative à l’anesthésie plébiscitée par les patients. Aux Hospices Civils de Lyon, le service de radiothérapie est le premier à soigner les cancers de la prostate par curiethérapie sous hypnose. Pour réaliser ces interventions, le Pr Olivier Chapet, chef du service de radiothérapie au Centre Hospitalier Lyon-Sud (HCL) a travaillé durant plusieurs mois avec le Dr Edwige Rigal, médecin anesthésiste formée à l’hypnose.
L’hypnose remplace l’anesthésie générale habituellement pratiquée pour ces interventions très douloureuses. Ici pas de démonstration spectaculaire : l’anesthésiste ne touche jamais le patient mais parle avec lui tout au long de l’intervention. Le patient n’est pas endormi mais coopère avec l'équipe. « Il s’agit de focaliser son attention pour lui permettre de s’évader dans son monde intérieur», explique le Dr Rigal, qui précise que les patients sont interrogés préalablement au sujet du thème qu’ils souhaitent aborder pendant l’intervention.
Cela peut-être un souvenir agréable, une activité quotidienne, ou bien leur sport favori… Rares sont les contre-indications. Seule contrainte : le patient doit être motivé. Une ambiance particulière règne dans le bloc. Pour ne pas perturber l’état de "focalisation de l’attention" dans lequel est plongé le patient, l’anesthésiste et le radiothérapeute échangent sur les étapes-clés de l’intervention à l’aide d’ardoises.
L’hypnose est une technique complexe, qui nécessite un apprentissage rigoureux.
L’intervention sous hypnose est strictement la même que sous anesthésie générale. Elle a une durée similaire mais l’hypnose présente de nombreux avantages en termes de récupération. Pour le Pr Chapet, c’est une technique d’avenir : « Grâce à l’hypnose, on évite les risques liés à l’anesthésie, et ses effets secondaires (nausées, vomissements, fatigue) Le patient après intervention sous hypnose est rapidement en forme. La reprise d’une activité est possible dans les jours qui suivent l’intervention. Et, il a la satisfaction d’avoir participé activement au traitement.
Actuellement, plusieurs médecins ou soignants suivent des formations afin d’étendre cette pratique si prometteuse. Si l’intervention sous hypnose exige la présence de l’anesthésiste tout au long du temps passé au bloc, elle permet des économies en termes de matériel et de personnel de surveillance (pas besoin de salle de réveil).
La curiethérapie est réservée aux cancers peu développés qui se limitent à l’intérieur de la prostate. Guidé par imagerie 3D, le radiothérapeute insère des aiguilles par le périnée afin de déposer dans la prostate de minuscules grains remplis de grains d’iode radioactifs qui vont détruire le cancer. La curiethérapie est pratiquée en ambulatoire aux HCL et permet une récupération rapide. Cette technique ne donne quasiment jamais de fuite urinaire et fait partie des traitements apportant les meilleurs résultats en termes de conservation de la fonction sexuelle. Aux HCL, 65 curiethérapies sont pratiquées chaque année.
Des bases scientifiques plus solides - La Croix
Après avoir été largement utilisée jusqu’en 1920 (pour soigner notamment les traumatismes de la Grande Guerre), l’hypnose a été délaissée par les médecins pendant le reste du XXe siècle, avant qu’ils s’en emparent à nouveau à l’aube des années 2000. Ce regain d’intérêt est lié en grande partie à l’essor récent des neurosciences cognitives, qui l’ont sortie des pratiques un peu « magiques » en lui conférant une objectivité.
Les progrès de l’imagerie cérébrale, notamment le TEP (tomographie par émission de positrons) permettant d’observer un cerveau en activité, ont élucidé les mécanismes qui entrent en jeu. «On a pu montrer qu’il s’agissait d’une fonction cérébrale cognitive, en lien avec l’attention, résume le professeur Marcel Châtel, neuropsychiatre et professeur de neurologie. Et comme pour la plupart des fonctions cognitives (la mémoire par exemple), il existe une très grande variabilité suivant les individus : certains sont très hypnosuggestibles ; d’autres le sont difficilement.»
«On a pu confirmer aussi qu’il s’agissait d’un état cérébral spécifique qui ressemble au sommeil, mais n’est pas le sommeil, poursuit-il. On parle d’ ”état de conscience modifié”, car il n’est pas l’état de vigilance habituel. Cet état rend plus sensible aux suggestions, le patient acceptant de relâcher son système de contrôle habituel pour s’ouvrir à autre chose.»
Ce phénomène de suggestions se voit en imagerie. Les chercheurs ont pu ainsi constater que les réponses du cerveau à un même stimulus douloureux n’étaient pas les mêmes selon qu’il était sous hypnose ou non. Mais aussi qu’une « suggestion » faite par l’hypnothérapeute (un son, une image, une douleur) déclenchait chez le patient les mêmes réactions cérébrales que si ce stimulus était réel.
D’autres études ont porté sur les effets cliniques de l’hypnose, notamment dans le traitement de la douleur, que «la médecine à du mal à objectiver, tant ses composantes (sensation, émotion, comportement, etc.) sont complexes», souligne Marie-Elisabeth Faymonville, qui dirige une équipe de recherche au CHU de Liège (qui a notamment mis au point en 1991 la technique de l’hypnosédation).
«Une étude récente publiée dans le journal Pain (douleur), explique-t-elle, montre que l’hypnosédation diminue la douleur, la médication et provoque moins de variation de respiration et de tensions au cours de l’intervention.» On a démontré aussi l’intérêt d’associer l’hypnose dans le traitement des douleurs aiguës et des douleurs chroniques. «Un article intitulé ”Utilité de l’hypnose au regard des douleurs chroniques” (NDLR : à paraître prochainement dans l’European journal of pain) fait état d’une étude menée auprès de malades atteints depuis dix ans en moyenne de douleurs musculo-squelettiques (douleurs articulaires, lombalgies, migraines etc.), et qui ont été suivis dans un centre où on leur apprend l’auto-hypnose : au bout de six séances collectives sur un an, 83 % des patients se disent améliorés.»
Une autre étude en cours, effectuée en oncologie, montre l’utilité de l’hypnose pour les femmes qui ont un cancer du sein : l’auto-hypnose améliore leur qualité de vie et diminue leur détresse psychologique. Des projets de recherche sur le traitement des douleurs des enfants sont également en cours en France. «De nombreux travaux scientifiques sont en route qui donnent crédit à l’outil, souligne la professeur Faymonville, tout en évitant de le considérer comme une panacée : il s’agit simplement d’un talent que la nature a donné à chaque être humain et qu’on apprend à utiliser.»
Christine Legrand
"L'hypnose m'a sortie de ma dépression" - Femme Actuelle
Face à cette maladie douloureuse qu’est la dépression, les solutions ne sont pas si nombreuses. Pour Elodie, 43 ans, c’est l’hypnose qui lui a permis de remonter la pente.
« Six mois après le début de ma procédure de divorce, mon médecin généraliste s’est s’alarmé de la dégradation de mon état et m’a orienté vers un psychothérapeute spécialisé dans l’hypnose. J’étais sous antidépresseurs depuis 4 mois. Je m’absentais de plus en plus souvent du travail, j’avais des idées noires, je me dépréciais, je m’excluais de toute activité sociale. Mon mari disait qu’il valait mieux se séparer et laisser à chacun la possibilité de refaire sa vie, que de vivre en prison. Je n’ai pas protesté car au fond de moi je savais qu’il avait raison, même si cela a été un choc. Nos enfants étaient grands et autonomes. J’avais peur du vide du quotidien, je ne voyais plus le sens de ma vie, et ressentais aussi la honte du divorce. A cette époque, je me sentais lourde à déplacer, moche à regarder car toute vie m’avait quittée, sans aucune envie et inutile.
Sans trop savoir quoi en attendre j’ai accepté des tâches concrètes à réaliser entre les consultations et des séances de travail sous hypnose. Je me suis vite sentie en sécurité, avec l’impression que quelque chose pouvait renaître avec ce travail. Le thérapeute m’a fait explorer sous hypnose cette sensation de lourdeur et j’ai alors ressenti que ce poids était présent pour compenser un vide intérieur. J’ai compris qu’avec le divorce mon équilibre, qui me faisait me sentir utile, pleine et indispensable s’effondrait. J’ai vécu sous hypnose la façon dont j’avais ressenti toutes ces années la présence de mon mari, pour moi puis à côté de moi, puis l’éloignement et le vide laissé, et enfin j’ai vécu un autre vide, comme un champ encore vierge mais d’où pouvait renaître la vie. J’ai réalisé que j’étais toujours capable de la recevoir.
J’ai senti une amélioration entre la 3e et 4e séance d’hypnose. J’ai pu verbaliser tout cela à la 6e. Puis, de tous les 15 jours, on a espacé les séances à toutes les 3 à 4 semaines. Je revois mon psychothérapeute dans 3 mois et si je juge alors avoir suffisamment de ressources, je volerai de mes propres ailes. Après 11 consultations au total je ne suis plus dépressive et je n’ai plus besoin des antidépresseurs. Peut-être que j’éprouverai le besoin de le revoir à l’approche de la date du divorce. »
L'avis de l'expert : « L’hypnose permet un travail de fond »
Pr Antoine Bioy, Professeur de psychologie clinique et psychopathologie (université de Bourgogne, Dijon), docteur en psychologie et responsable scientifique de l’Institut Français d’Hypnose (Paris).
« La dépression est l’un des principaux motifs de consultation en hypnothérapie. Mais l’hypnose ne s’envisage pas comme une prise en charge unique, sans un diagnostic établi par un médecin ou un psychologue. L’hypnose s’avère être une très bonne thérapie dans la dépression car elle permet de travailler sur sa cause. Les médicaments seuls ne constituent pas une réponse suffisante, même s’il peut y avoir un intérêt à diminuer certains symptômes. Dans la dépression il existe toujours un noyau central, c’est la question de la perte. La personne vit une expérience de perte insupportable (deuil difficile, séparation complexe, perte d’emploi touchant au sentiment d’identité…). Grâce à l’hypnose, le patient revisite le lien avec ce qu’il a perdu, et modifie la façon dont il se positionne par rapport à cet événement douloureux. Ce travail se fait à l’aide de suggestions et de métaphores construites pour le patient, dont les effets seront facilités par l’état hypnotique. Plutôt que par la parole, l’hypnose permet un travail qui passe par les perceptions et les sensations corporelles. En effet, souvent, les patients ressentent les signes de la dépression avant tout par leur corps : par exemple la sensation de lourdeur, qui accompagne un ralentissement moteur (marche plus lente, etc.). La mise sous hypnose permet de se focaliser sur cette sensation de lourdeur et, sans la nier, d’une part de retrouver des sensations plus légères, et d’autre part de travailler sur les événements qui induisent cette lourdeur, ce qui permet généralement de relier la dépression actuelle à l’événement déclencheur. »
Hélène Joubert
Peut-on se faire manipuler ? - La Croix
«L’hypnose est un outil si efficace qu’il peut être utilisé par toutes sortes de gens. Des artistes de music-hall s’en servent pour monter des spectacles. Mais il existe aussi de plus en plus de pseudo-thérapeutes qui se forment à l’hypnose en quelques semaines, et s’autoproclament hypnothérapeutes, en bien-être, en gestion des émotions, etc. Depuis que l’hypnose est redevenue à la mode, ils prolifèrent de manière inquiétante.
C’est pourquoi nous tenons à parler d’hypnose “médicale”, dont le but est de soulager les souffrances (les douleurs, mais aussi les dépressions, les phobies, les addictions). Et elle ne doit être pratiquée que par des professionnels de santé : médecins, dentistes, infirmières, sages-femmes… Notre charte éthique le précise bien : la seule connaissance de l’hypnose ne suffit pas pour se proclamer thérapeute.
On peut se faire manipuler sous hypnose, car le cerveau devient plus suggestible. Dans la première phase notamment, où la personne se défait de ses peurs et de sa volonté. L’hypnotiseur de music-hall s’arrête à cette phase-là, et en profite pour amuser le public par des suggestions ridicules.
Alors que le thérapeute, une fois que le patient est devenu plus souple, l’incite à voir sa vie autrement, pour qu’il puisse la reprendre en main. Dans la première phase, sa volonté tombe ; dans la seconde, il la retrouve.
Ces procédés d’influence, que la connaissance de l’hypnose nous aide à comprendre, sont également utilisés par les politiques, la publicité, la communication des entreprises… Les firmes de tabac par exemple délivrent des messages qui entretiennent la confusion (fumer est un remède au stress). Alors que le soignant utilise l’hypnose pour aider le patient qui veut arrêter de fumer à sortir de cette confusion, à se défaire de ses certitudes (non, le tabac n’est pas bon pour la santé). On peut donc parler d’emprise quand les intentions sont malveillantes ; mais quand elles sont bienveillantes et respectueuses, ce peut être au contraire un exercice de liberté.»
«LE PATIENT GARDE SON LIBRE ARBITRE»
ANTOINE BIOY
Professeur de psychologie, conseiller scientifique de l’Institut français d’hypnose (IFH)
«L’hypnose fonctionne sur la communication et comme dans toute communication, elle repose sur un principe d’influence. Nous entrons en communication avec le patient et nous intervenons sur la façon dont il perçoit la réalité, ce qui lui permet de requestionner la façon dont il perçoit son environnement, son corps, son identité.
Quel que soit le symptôme, l’individu en souffrance a en effet tendance à scléroser, à tout ramener à sa difficulté. En lui permettant de se percevoir autrement lui-même et à percevoir autrement son environnement, on introduit plus de flexibilité et de fluidité dans son processus psychique. Au fil des séances, le patient va relâcher peu à peu la pression sur le symptôme, apprendre à moins anticiper ses douleurs, par exemple.
L’objectif est d’aider le patient à utiliser les nombreuses ressources qu’il a en lui pour lui permettre d’aller mieux. Le rôle du thérapeute est donc double. Il va d’abord montrer au patient comment on entre en état de conscience modifié : c’est l’aspect pédagogique ; et il ne s’agit pas d’un ”don”.
Il va ensuite exercer une influence sur lui à travers les suggestions, les images qu’il emploie : des ballons qui s’envolent pour soulager le sentiment de lourdeur et d’inertie chez un dépressif par exemple… Pour permettre à cette lourdeur de s’envoler, il lui suggère une idée à laquelle il n’a pas pensé seul – et on peut parler à ce propos de principe d’influence. Mais il s’agit d’une suggestion, d’une proposition thérapeutique. À charge du patient de la réaliser. Le thérapeute ne possède pas de ”pouvoir”.
Et le patient ne ”dort” pas, il garde son libre arbitre, sa liberté de contrôler ce qui se passe. À n’importe quel moment, il peut sortir de son état hypnotique : il suffit qu’il ouvre les yeux et dise qu’il ne veut plus continuer pour que la séance s’arrête.»
Recueilli par Christine Legrand
L'hypnose contre la douleur, «ce n'est pas de la magie» - La Dépêche
«Les patients en santé mentale sont souvent mal pris en charge au niveau de la douleur», c'est le constat que fait le docteur Nathalie Ortalo-Magné, président du CLUD (Comité de lutte contre la douleur) au sein de l'hôpital Sainte-Marie. «Les études ont montré que les malades psychotiques pouvaient ressentir la douleur» indique-t-elle. «Ils l'expriment différemment car ils vivent ça différemment dans leur corps», explique le praticien. à l'exemple des personnes atteintes de fibromyalgie qui ont «un défaut des réflexes inhibiteurs de la douleur», précise la même. Forte de ses éléments, la présidente du CLUD, créé en 2014 et qui fait suite à la commission douleur mise en place depuis 2008, avait organisé une «Journée douleur en santé mentale» au centre hospitalier Sainte-Marie. Près de 150 personnes venues des différents hôpitaux et des EHPAD y ont participé avec en guest stars le docteur Éric Serra, l'un des plus grands responsables de la douleur de la santé mentale en France, ainsi que les docteurs Bourrel et Segonds de l'hôpital Marchant de Toulouse. «Le but était de sensibiliser le personnel à l'évaluation de la douleur et de faire le point sur les échelles existantes et d'en choisir une pour notre établissement», explique Nathalie Ortalo-Magné. La prise en charge de la douleur chez les psychotiques, comme chez les nourrissons, est assez récente alors «il faut tordre le cou à des idées reçues et comprendre aussi que les solutions ne sont pas toujours médicamenteuses», se passionne la présidente du CLUD. Dans le programme «Sois sage ô ma douleur», mis en place au Centre médico psychologique de Rodez, des expériences sont menées la sophrologie, l'aquathérapie, les groupes de parole et l'hypnose. «On se forme depuis peu à cette technique. C'est une solution intéressante, ça devrait se développer. ça s'appuie sur une base neurophysiologique, ce n'est pas de la magie» commente le docteur.
Marie-Christine Bessou
Opération de la thyroïde sous hypnose au CHRU de Tours : une première chirurgicale - L'echo républicain
L'opération s'est déroulée avec succès. Le 31 mars dernier, une jeune patiente a subi une intervention chirurgicale hors normes au CHRU de Tours. Son opération d'une tumeur bénigne de la thyroïde, a été réalisée sous hypnose.
"Le geste chirurgical s’est déroulé dans d’excellentes conditions, avec une simple anesthésie locale, légère, sans nécessité de réinjecter du produit pendant l’intervention", commente l'hôpital dans un communiqué de presse envoyé aujourd'hui 7 avril. "A tout moment, la patiente pouvait parler et la voix est toujours restée normale."
L'hôpital rappelle que l'hypnose, est une technique qui repose sur une dissociation du corps et de l'esprit. Elle est utilisée depuis plusieurs années au CHU de Tours, notamment en neurochirurgie et permet, outre les avantages physiques que l'on doit à l'éveil du patient, de diminuer le stress et l'anxiété.
La vidéo de l'intervention :
La lettre d'Asspro Scientifique - Avril 2015
Voici quelques années maintenant que l'hypnose a fait son entrée en anesthésie. Bien que peu répandue, cette pratique gagne en notoriété avec notamment la récente thyroïdectomie de la chanteuse Alama Kanté à Henri Mondor en 2014 qui a chanté pendant son intervention sous hypnose afin d'aider à la vérification de la préservation des nerfs récurrents. Dernièrement, les Hospices Civils de Lyon ont communiqué sur le développement de l'hypnose en anesthésie pour la curiethérapie du cancer de la prostate.
Alors, effet de mode du courant minimal invasif poussé à l'extrême ou réel changement de paradigme ? Au-delà de l'intérêt et de la fascination que peut susciter la chirurgie sous hypnose, des questions demeurent. L'hypnose pourrait-elle s'imposer un jour comme une pratique courante ? Saurait-elle supplanter la rachi-anesthésie ou l'anesthésie générale dans certaines circonstances ? Juridiquement, existe-t-il un cadre légal à connaître avant toute chose ?
L ́hypnose en pratique
Le Dr Stéphane Charré, anesthésiste-réanimateur exerçant à la polyclinique du pays de Rance (Dinan), est formateur, institut de formation et de recherche en hypnose et communication thérapeutique. Il propose une vision très simple de la place de l'hypnose en chirurgie : « c'est un outil de plus dans la boîte à outil de l'anesthésiste ».
Comment dès lors s'intègre cet outil dans le protocole de soins ?
« Pour une intervention chirurgicale, c'est simple. Dès les premières consultations, le chirurgien propose l'hypnose au patient. Lorsqu'il vient voir ensuite l'anesthésiste, c'est au patient d'en parler. S'il n'évoque pas le sujet, nous non plus. » C'est donc au patient d'en faire explicitement la demande. « Ensuite, lors de l'opération, tout est fait comme si c'était une anesthésie générale. Le patient vient à jeun. Le matériel et les médicaments nécessaires à une AG sont à portée de main. Si le patient nous fait le signe convenu ensemble au préalable, nous passons à une anesthésie générale ». Le Dr Charré nous confie que dans son expérience, cela arrive assez peu souvent, les patients étant bien informés sur le protocole et sur le fait qu'il peut y avoir des sensations d'inconfort qui disparaissent rapidement.
Une technique en manque d'évaluation
L'application du protocole semble donc assez simple. Qu'en est-il de son utilisation en France ? « Il n'y a pas de données sur le nombre de médecins qui pratiquent l'hypnose. Mais il semble que de plus en plus d'établissements publics et privés aient des médecins formés à cette pratique. » Le Dr Charré donne quelques exemples de chirurgies ou d'examens invasifs pour lesquels l'hypnose est pratiquée comme anesthésie : endoscopies, pose de bandelettes TOT, opération d'hernie inguinale, chirurgie de la parotide, mais aussi de la carotide. Le problème actuel de l'anesthésie par l'hypnose est son manque de reconnaissance associé à un manque de données. Il n'existe pas d'étude précise sur son usage en chirurgie, seulement des cas cliniques. Un obstacle à cette reconnaissance est aussi l'absence de formation légalement requise : chacun peut pratiquer l'hypnose sans justification de compétences. Côté patients, le Dr Charré relève leur « satisfaction générale. On nous a souvent remercié après une opération, mais depuis qu'on fait de l'hypnose, les gens manifestent encore plus d'enthousiasme et de reconnaissance. »
Une pratique à assurer, un cadre à respecter
En termes d'assurance, le Cabinet Branchet, spécialiste de l'assurance des praticiens du bloc, accepte de garantir la pratique de l'hypnose, à condition qu'elle soit pratiquée dans les règles de l'art. Caroline Brillet, sa responsable juridique précise :« L'hypnose doit être pratiquée par un anesthésiste-réanimateur au bloc opératoire, en support d'un acte médical ou chirurgical et dans le cadre de sa spécialité. » Exit donc toute utilisation pour traiter des maladies psychiatriques ou des addictions par exemple. Caroline Brillet ajoute que « Cette technique ne peut être employée que par un anesthésiste-réanimateur, seule spécialité pour laquelle une formation qualifiante existe. » Il est recommandé de se rapprocher de son assureur pour l'informer. Ce dernier ne devrait pas retenir de risque particulier dans ce cadre, en l'absence, à ce jour, de jurisprudence. Finalement, existe-t-il un inconvénient à cette technique pour le Dr Charré ? « Le médecin doit être plus présent pendant l'opération et le patient est acteur de son soin. Mais pour moi, ce dernier point est plutôt un avantage pour le malade lui-même ».