De l’art de prévenir à l’art de guérir, par le Dr Claude Virot, psychiatre, directeur d’Emergences
« J’exercerai mon Art dans l’innocence et la pureté », disait Hippocrate. C’est pourtant aussi Hippocrate qui est considéré comme le fondateur de la médecine rationnelle.
Dans ce débat universel entre art médical et science médicale, l’hypnose apparaît comme une discipline frontière dont le principe fondamental est d’utiliser la transe. « Trans » signifie passage, zone intermédiaire où les dimensions ne s’excluent plus mais se combinent, se complètent. Au-delà de cette première réflexion sur l’art de soigner, explorons aussi ces deux dimensions de la médecine : prévenir et guérir.
Comment, si l’hypnose trouve toute sa valeur dans la dimension préventive de la douleur, montre-t-elle aussi toute sa valeur dans la dimension curative, lorsque la douleur est déjà là ?
Chaque acte hypnotique a-t-il une double dimension préventive et curative ? Y a-t-il des modalités spécifiques de l’anticipation et d’autres spécifiques de la réparation ? Pourrons-nous conclure que, par sa capacité à relier le passé au futur, le corps à l’esprit, l’individu au groupe, la science à l’art, le protocole à la créativité, l’hypnose joue encore et toujours son rôle de passerelle par laquelle les dimensions fondamentales de l’Humain communiquent ?
En seconde séance plénière: Le défi de la douleur : le cerveau en état hypnotique peut-il contrôler la douleur ? Pr De Benedittis Guiseppe, Professeur de neurochirurgie et directeur du centre de la douleur à l’université de Milan (Italie)
Les mécanismes neuraux qui sous-tendent les états hypnotiques et les réactions aux suggestions hypnotiques demeurent largement inconnus.
Toutefois, des découvertes récentes ont permis de lever quelque peu le voile sur le mystère du soulagement de la douleur par l’hypnose.
Il est probable que les suggestions analgésiques hypnotiques permettent de moduler la douleur à des niveaux et régions divers à l’intérieur du système nerveux périphérique et central. Au niveau périphérique, l’hypnose peut moduler les afférences nociceptives en régulant la stimulation des fibres A-delta et C et en réduisant la stimulation sympathique. Au niveau céphalorachidien, il a été prouvé que l’analgésie sensorielle durant l’hypnose est directement liée à une réduction du réflexe nociceptif en flexion (RIII), un réflexe spinal polysynaptique.
Au niveau supraspinal, l’imagerie cérébrale et les études électrophysiologiques ont démontré que les suggestions hypnotiques analgésiques peuvent modifier les dimensions sensorielles comme affectives de la perception de la douleur (l’affectif subissant une modification plus importante que le sensoriel), confirmant en cela, tout au moins partiellement, la théorie de néo-dissociation de Hilgard et Hilgard (1994). En outre, les sujets hautement hypnotisables possèdent une capacité de filtrage de l’attention supérieure à celle des sujets faiblement hypnotisables.
Cette flexibilité cognitive supérieure leur permet de mieux se concentrer et de mieux détourner l’attention des stimuli nociceptifs et également des stimuli non pertinents de leur environnement. Ces processus cognitifs de contrôle sont associés à un « système attentionnel de supervision » qui implique le cortex limbique frontal avancé.
Ces systèmes de contrôle multiples et hiérarchisés de la douleur mis en oeuvre durant la suggestion hypnotique analgésique nous fournissent une nouvelle explication de la base neurobiologique de l’analgésie hypnotique, qui s’est avérée une méthode fiable, validée et sûre d’intervention dans le contrôle de la douleur, aiguë comme chronique.
Par ailleurs, les paradigmes de recherche récents ont conforté le rôle de l’hypnose comme moyen de sondage efficace des mécanismes cérébraux et, partant, comme moyen d’investigation de l’hypnose elle-même. Il semble donc que nous soyons à l’aube d’une véritable révolution copernicienne dans ce domaine.